Odeurs
Il faut collectionner les pierres qu’on vous jette. C’est le début d’un piédestal.
[ Hector Berlioz ]
Odeur corporelles, odeur sui-généris, celles qu’on a apprivoisées et qu’on transporte avec soi oubliant qu’on les impose aux autres. Puis on fait attention de ne transporter que celles qui flattent notre odorat grâce au talent des parfumeurs. Avoir une bonne ou une mauvaise odeur… quand de très près on vous susurre à l’oreille « j’aime ton odeur » , on prie dieu et diable que ce soit celle du parfum qui nous sied, qui n’a pas viré, qui n’a pas disparu pour laisser place à notre odeur naturelle qu’on sent encore tous les matins avant la douche, au sortir du sommeil et qu’on est peu enclin à partager avec le premier bellâtre venu.
Odeur de terre : celle qui me surprend au détour d’une allée empruntée tous les jours, mais ce jour-là, c’est différent. Cette odeur me fige quand je la hume.
Une odeur qui fait le silence autour pour laisser affluer les souvenirs. Et ces souvenirs disent l’enfance, la pluie, la terre mouillée qui fume d’avoir tant attendu ce précieux liquide.
Cette odeur se fait tactile pour me faire revivre les yeux fermés la sensation de cette pluie tiède sous laquelle l’écolière de jadis s’ébattait, enfreignant la règle : comme c’était bon de repérer la gouttière abîmée et de se placer sous le jet continu.
À l’arrivée maman me fera les gros yeux et m’essuiera énergiquement avant de glisser du papier journal sous des habits secs pour que je n’attrape pas un catha ou un mal-cadi. Je n’ai jamais su ce qu’était ces maladies. Je m’étais adonné à ce plaisir interdit et mon sang avait ensuite circulé plus vite sous la rude expression de la tendresse maternelle.
Plus tard il y a les odeurs liées à la menstruation, fade pas terrible. On nous apprend très tôt à dissimuler les odeurs, celles du corps, celles que les animaux apprécient tant. Mais nous sommes des animaux particuliers, au dessus du lot sans doute !
Je me souviens pourtant du plaisir sincère que j’ai pu éprouver à respirer cet amoureux-là ! Enfin celui dont j’étais amoureuse…
Il émane parfois des êtres une senteur particulière et unique, celle qui se rappelle à mon souvenir me rendait quasi animale. Le nez dans le cou, sous les aisselles sentant le propre, mais légèrement mêlé aux mâles senteurs. Sentir s’accompagnait alors de légers effleurements sur une peau lisse et ferme dont la forme, celle du bras reste imprimée sous mes doigts si longtemps après.
Les odeurs…sont spontanément « travaillées » par les tout-petits qui transportent leurs doudous, nauséabonds, pour qui ne saisit pas l’importance de ces odeurs essentielles.
Et puis il y a l’odeur du cuir, si sensuelle quand elle s’accompagne d’un toucher nature, lisse et agréable…
L’odeur du tabac qui reste sur les doigts ou au bord des lèvres…
S’entendre dire à l’oreille : tu me manques déjà, mais j’ai ton odeur intime en moi, ça réconcilie avec certaines répugnances.
Évidemment il y a de ces odeurs qui rappellent, l’enfance, les vacances, la mer, le sable. Celle du monoï ou de la vanille sur la peau. L’odeur sucrée du chocolat-première communion, celle de la terre mouillée juste au début de l’averse, cette autre du cannabis, sucrée aussi et entêtante, que les circuits olfactifs reconnaissent sans effort particulier, juste penser, tiens quelqu’un fume de l’herbe ! L’odeur du pays à la descente de l’avion associé à une hygrométrie à laquelle il faut se réhabituer.